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08/06/2007

IL ETAIT UNE FOIS LE CINEMA.com (***)

Par François Provost


L’amour au milieu des cochons. C’est l’une des images paradoxalement poétiques que l’on gardera en mémoire de ce film aux relents doux-amer pourtant irrésistibles. Soit l’histoire d’une communauté d’originaux vivant dans un village d’Allemagne, et de ce quotidien soudainement bouleversé par l’arrivée, dans le champ d’Emma, d’un homme condamné par la maladie. Qu’on ne s’arrête pas à cette apparente tentation qu’a eu le réalisateur Sven Taddicken de vouloir jouer avec la « nouvelle vague du cinéma allemand » ; Le Bonheur d’Emma est un modèle de film clair, limpide, lumineux, et difficile de ne pas le chroniquer sans en louer d’emblée les nombreuses qualités, surprenant encore grâce à un traitement frontal et sans ambiguïté mettant en scène la rencontre improbable entre deux êtres.

Si l’amour peut vraiment être une solution de substitution, pourquoi ne pas s’y essayer ? C’est ce que semblent se dire ces protagonistes un peu perdus, prêts à se jeter malgré eux dans un tourbillon d’émotions refoulées. L’habituelle succession d’obstacles par lesquels l’intrigue progresse, a la délicatesse de nous balader quelque temps dans une atmosphère récréative qui n’oublie pas sa noirceur intrinsèque (l’un se meurt, l’autre survit). Cet état de fait, évoqué avec sympathie et sans restriction aucune, suffit pour que l’on se prenne d’affection pour des personnages a priori difficiles d’accès (le taiseux et la fermière), bien loin des conventions traditionnelles d’un cinéma sclérosé par le besoin de faire rêver en trompant son audience.

On craint de déjà connaître le parcours qu’effectueront les âmes en peine, mais le film distille ce qu’il faut d’ironie et parfois de cynisme pour éviter le pathos larmoyant d’une intrigue a priori maintes fois traitée. Parfaite en fermière un peu rustre et très méfiante, Jördis Triebel parvient à restituer avec sincérité la femme se réveillant au contact d’un homme simple (mais complexe à sa façon) et, avec elle, les premières émotions touchantes et la maladresse d’un nouveau bonheur éprouvé.

Avec sa galerie de personnages aussi pittoresques qu’inspirés, son cadre champêtre et isolé, presque militant, constituant une claire antithèse de la vie urbaine et désincarnée, le film prend parfois des airs de conte, contenant en sus toute la cruauté sous-jacente que l’on retrouve parfois sous les jolies images. Apprenant à se connaître, cernés par l’hostilité du village et de ses drôles de représentants, Emma et Max n’ont au final pas d’autre choix que de cohabiter au sein d’un espace-temps limité… où chacun aura le temps de vivre, comblant provisoirement des névroses pour l’occasion reléguées dans le passé.

Reste qu’en abordant d’emblée et frontalement le problème vital auquel les personnages seront tôt ou tard confrontés, le film garde une sincérité particulière envers le spectateur, mais perturbe la confiance peu à peu instaurée, qui ne saurait trouver d’épilogue en demi-teinte : ce sera logiquement tout, ou rien. Le plan final, réellement touchant et d’où s’élève une musique aérienne subjuguant l’attention, est à la fois tendre et cruel, mais laisse chacun juger du reste de l’aventure.

Sans chercher la complexité dans la pure fiction alors que le plan s’approchant le plus de la réalité en offre souvent de parfaits exemples, Le Bonheur d’Emma démontre que le cinéma allemand fait preuve d’une extraordinaire vitalité, tant dans le souvenir (La Vie des autres) que dans la fable humaniste saupoudrée de folie. Parlant de vie et de mort avec lucidité et fraîcheur, le film de Sven Taddicken est une très agréable surprise.

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